Qu’est-ce qu’une licorne, vraiment ?
À force d’entendre ce mot dans des pitchs, des articles LinkedIn ou des discussions entre investisseurs, « licorne » pourrait facilement devenir un simple buzzword. Pourtant, sous cette étiquette mystique se cache un symbole très concret de la transformation économique actuelle. Une licorne est, dans le jargon des startups, une entreprise technologique non cotée en Bourse, valorisée à plus d’un milliard de dollars.
Le terme a été inventé en 2013 par Aileen Lee, fondatrice de Cowboy Ventures, pour illustrer la rareté de ces entreprises à l’époque. Autrement dit, une réussite aussi improbable que celle de rencontrer une créature mythique. Mais depuis, les licornes se sont multipliées et ont même évolué en « décacornes » (10 milliards) et « hectocornes » (100 milliards). Mystique, vous dites ? Bienvenue dans l’économie numérique.
Pourquoi les licornes fascinent autant ?
Imaginez une startup qui sommeille dans un incubateur parisien et qui, quelques années plus tard, redessine la manière dont des millions de personnes réservent une voiture, commandent leur déjeuner, ou gèrent leur épargne. Cette capacité à scaler à une vitesse éclair, à disrupter des marchés entiers grâce au numérique, voilà le superpouvoir des licornes.
Les investisseurs y voient un eldorado : croissance rapide, marges futures exponentielles, potentiel de revente stratosphérique. Et pour les gouvernements, elles incarnent une nouvelle forme de souveraineté économique et technologique. À l’heure où les empires se bâtissent souvent en ligne plutôt que sur des territoires, posséder ses propres licornes, c’est devenir un joueur légitime sur l’échiquier mondial.
La France et ses licornes : une ambition assumée
Souvenez-vous : en 2019, Emmanuel Macron annonçait qu’il voulait faire émerger « 25 licornes françaises d’ici 2025 ». Une promesse visionnaire ou une stratégie de communication bien huilée ? Peut-être un peu des deux. En 2024, on en compte déjà une trentaine, ce qui prouve que nos startups ne sont pas que des rêveuses, elles sont également bien outillées pour jouer dans la cour des grands.
Des exemples ? Back Market révolutionne le marché des produits électroniques reconditionnés. Alan repense l’assurance santé avec une interface digne d’un Spotify. Doctolib ? On ne le présente plus : pendant la crise sanitaire, c’est devenu un réflexe autant qu’un outil. Et ce sont ces entreprises qui redonnent un nouvel élan à l’économie numérique hexagonale.
Licorne rime-t-elle toujours avec innovation ?
Pas toujours. Certaines licornes sont devenues licornes non pas en inventant quelque chose de nouveau, mais en améliorant radicalement l’existant. Prenons Blablacar : le covoiturage n’est pas une invention récente, mais sa structuration à grande échelle via une plateforme numérique en fait un modèle unique.
Ce qu’on valorise ici, c’est moins l’invention que la scalabilité. Et cette scalabilité repose souvent sur trois piliers :
- Une plateforme digitale, capable d’accueillir des millions d’utilisateurs sans surcoût proportionnel.
- Un modèle économique agile, souvent par abonnement ou à la demande.
- Un usage intensif de la data pour optimiser, automatiser, prédire… et fidéliser.
Finalement, la licorne est souvent moins une créature imaginaire qu’un centaure entre l’innovation technologique et la maîtrise opérationnelle.
Quel est leur impact sur l’économie numérique ?
Le premier levier est sans surprise : l’emploi. Les licornes recrutent à tour de bras, stimulent l’écosystème tech et créent un effet d’entraînement sur tout un tissu économique : sous-traitants, freelances, prestataires, partenaires.
Mais leur rôle le plus stratégique, c’est celui de catalyseur de l’innovation. Elles déverrouillent de nouveaux usages, font évoluer les comportements, et poussent même les entreprises traditionnelles à entamer leur propre mue digitale (souvent à reculons, mais c’est une autre histoire).
Autre impact majeur : l’attractivité. Une métropole qui héberge plusieurs licornes (on pense à Paris, Berlin, Amsterdam ou São Paulo) devient un pôle d’attraction pour les talents, les investisseurs… et les copycats aussi, ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose.
Une startup qui devient licorne : est-ce toujours une bonne nouvelle ?
Pas forcément. Car atteindre le statut de licorne, c’est aussi entrer dans une nouvelle catégorie de pression. Expectation kills. Certains business models ne supportent tout simplement pas l’hypercroissance sous stéroïdes. Des investissements massifs en publicité, des recrutements parfois précipités, et une obsession du « growth à tout prix », tout cela peut fragiliser une structure pourtant prometteuse.
Des entreprises comme WeWork ou Theranos nous ont rappelé à quel point le vernis de la licorne pouvait cacher des fissures béantes. Il ne suffit pas d’être valorisé à un milliard, encore faut-il tenir cette promesse dans la durée. Et surtout, générer de la valeur réelle, pas seulement sur une feuille Excel.
Licorne ? Oui, mais pas pour tout le monde
Tous les entrepreneurs ne rêvent pas forcément d’en faire une. Derrière l’image glamour, devenir une licorne suppose de faire des choix parfois douloureux : dilution, pivot forcé vers des business models plus bankable, ou encore renoncement à une vision plus craft de l’entrepreneuriat.
Et il existe un mythe qu’il est temps de déboulonner : faire partie des « startups qui comptent » ne signifie pas forcément atteindre le milliard. Certaines PME tech très rentables, à l’impact sociétal fort, développent une croissance solide et durable, sans jamais chercher à « licorniser ». Comme quoi, toutes les légendes ne prennent pas forcément la même monture.
Alors, faut-il encore courir après la licorne ?
Oui, si l’ambition, la compétition et la conquête font partie de votre ADN entrepreneurial. Non, si vous aspirez à un modèle plus résilient, plus localisé ou plus progressif. Dans tous les cas, comprendre les dynamiques à l’œuvre derrière ces entreprises est indispensable pour naviguer aujourd’hui dans le monde numérique – que vous soyez investisseur, salarié ou fondateur.
Et puis entre nous, même si elles ne courent pas les forêts, ces licornes ont le mérite de réenchanter notre rapport à l’innovation. Et parfois, ça fait du bien.
